Sous-marin classique marsouin ...

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HOMMAGE A L'AMIRAL JOIRE-NOULENS PAR CAMILLE SELLIER ce 14.07.10 à 20h02



Hommage à l’amiral Joire-Noulens

 

 

            L’amiral Joire-Noulens est décédé le 03 juillet dernier. Né en 1915, entré à l’Ėcole Navale en 1935, il avait terminé sa carrière en tant que CEMM, la plus haute fonction de la Marine exercée pendant deux ans de 1974 à 1976, mais c’est surtout en tant que sous-marinier et premier commandant de la Force océanique stratégique et des Forces sous-marines que je voudrais lui rendre hommage.

 

 

            Après avoir commandé le sous-marin Archimède après la guerre, il avait poursuivi sa carrière au service général dans une marine où la sous-marinade était considérée comme un petit clan de gens ne se lavant pas, utilisés pour faire la souris mécanique au profit de l’entraînement élémentaire de l’Escadre, sans grand intérêt opérationnel propre sinon, éventuellement, celui d’être mis à la disposition de l’OTAN pour contribuer à la mission ASM de l’Alliance qui se chargeait de cette tâche défensive peu prestigieuse. L’échec du Q244, qui aurait du nous faire accéder à la propulsion nucléaire, n’avait pas amélioré l’image de la maison.

            Capitaine de Frégate il avait commandé la 1ère ESM de 1960 à 1962, période du premier retour d’expérience des Aréthuse, sous-marins modernes conçus pour la lutte ASM ; de facto il se trouvait dans la tranche d’ancienneté des sous-mariniers expérimentés indispensables à la création de la Force océanique stratégique, outil essentiel de la dissuasion nucléaire. Rappelons qu’il s’agissait de mettre en oeuvre la politique de défense moderne voulue par le général de Gaulle, seule capable à ses yeux de restaurer l’indépendance nationale et le statut de grande puissance de la France. Certains ne l’ont pas compris, d’autres l’ont refusé au motif que le général de Gaulle était gaulliste, d’autre ont eu des crises morales voulant bien tuer leur prochain à coup de canons ou de torpilles mais n’acceptant pas de menacer de le faire à coup d’armes nucléaires en cas d’agression de sa part. Lui a continué de servir avec discipline prenant une part active aux travaux conduits à l’échelon central en vue de constituer les forces nucléaires. Préparé par le commandement de l’Ėcole Navale et celui de l’Ėcole des applications militaires de l’énergie atomique, il a été nommé fin 1970 ALFOST, commandant de la Force océanique stratégique et des Forces sous-marines. Ce nouveau commandement plein, à la fois organique et opérationnel, remplaçait logiquement ALSOUMAR créé en 1964 ; la concrétisation de la mise en œuvre des SNLE approchait, Le Redoutable devant appareiller pour la première patrouille de dissuasion nucléaire dès janvier 1972.

            Un travail considérable avait déjà été accompli pour passer d’un petit ensemble hétérogène à la force organisée, plus nombreuse et devant croître encore, plus professionnelle, s’appuyant sur des compétences techniques sans commune mesure avec celles de la sous-marinade précédente. La volonté de l’État traduite par les réalisations simultanées des grands programmes SNLE type Le Redoutable, missiles et charges nucléaires associés, avait été relayée par l’EMM pour les grandes infrastructures telle la base de l’Ile Longue et la Direction du personnel de la Marine pour l’énorme tâche de sélection/formation des personnels nécessaires sous la double contrainte de sauts en nombre et en qualité.

Parallèlement, le rôle essentiel d’ALSOUMAR et de son État-Major avait été de développer l’expérience opérationnelle par de nombreuses patrouilles de sous-marins visant à une meilleure connaissance des zones possibles d’action des SNLE, la définition de transmissions et procédures de contrôle adaptées, la traduction sous forme d’instructions spécifiques de l’expérience engrangée. Il faut aussi reconnaître que les pertes à deux ans d’intervalle de la Minerve en 1968 et de l’Eurydice en 1970, ressenties douloureusement par tous, et les sous-mariniers en particulier, avaient conduit à une révision drastique des matériels et des consignes ainsi qu’à une définition rigoureuse des qualifications des personnels et à leur contrôle, contribuant à la maturité de la force.

 

 

            Sans négliger les différentes actions induites par la croissance de la force, arrivée dans le cycle opérationnel du Terrible puis du Foudroyant, évolution des missiles de M1 à M2, formation des personnels et autres développements programmés relevant d’autres organismes, qui étaient “sur les rails” et qu’il fallait intégrer, le contre-amiral Joire-Noulens, en charge de ce nouveau grand commandement, avait trois préoccupations :

-        asseoir la crédibilité des SNLE face à l’ennemi potentiel, l’Union soviétique, et à nos bons alliés américains et britanniques ;

-        conforter le Président de la République et les plus hautes autorités de l’État dans la décision de faire à terme du système MSBS la composante essentielle des forces nucléaires ;

-        faire prendre conscience au reste de la Marine de l’existence de la FOST et obtenir son soutien quotidien pour l’exécution de la mission principale de la Défense.

 

Je commenterai brièvement chacun de ces points en m’appuyant sur l’observation personnelle faite alors que j’étais à l’ État-Major de l’amiral dans les conditions précisées ci-dessous complétée, plus généralement, par mon expérience ultérieure au sein des forces sous-marines.

A ma connaissance la crédibilité technique et opérationnelle des SNLE n’a jamais été menacée, ni fait l’objet de déclaration d’origine étrangère la mettant en doute après sa constitution par, à la fois, les essais nucléaires et les tirs d’essais de missiles soigneusement observés par les Etats-Unis et l’Union soviétique ainsi que le bon déroulement des essais mais aussi des premières patrouilles du Redoutable et du Terrible. Les critiques formulées publiquement quant à ce point ont toutes été d’origine française, provenant d’opposants de toutes sortes, à la dissuasion nucléaire fondement de la Défense ou au système MSBS lui-même comparé à l’arme aéroportée. L’amiral était conscient de la fragilité de cette crédibilité à la merci d’un accident de mer, d’une mauvaise rencontre opérationnelle ou tout simplement de déclarations fracassantes mais non fondées de la mise en œuvre d’un nouveau système de détection des sous-marins allant rendre l’océan transparent.

Le Président Pompidou accordait une grande attention aux questions stratégiques et de Défense nationale et particulièrement à la dissuasion nucléaire, l’évolution de ses moyens et son exercice quotidien par les forces. Il s’était rendu à l’Ile Longue pour se faire présenter Le Redoutable et a reçu à l’Élysée les commandants des trois premiers SNLE qui n’étaient pas en patrouille ce jour-là accompagnés par ALFOST. Aucun incident n’étant venu entacher la crédibilité du système, il a même décidé le lancement du programme missile M4 équipé de têtes nucléaires multiples pour en garantir la pénétration face aux missiles anti-missiles déployés par les Soviétiques autour de Moscou.

En 1970, et pour de longues années encore, l’organisation opérationnelle des armées en général et de la Marine en particulier était sensiblement différente de celle en vigueur aujourd'hui où le Chef d’État-Major des Armées a un rôle central. En particulier, les vice-amiraux d’escadre Commandants en chef pour l’Atlantique et la Méditerranée étaient responsables des opérations dans leur théâtre et donc, en amont, du renseignement et de la tenue de situation. La création d’ALFOST commandant opérationnel de SNLE dont les mouvements étaient couverts par le plus grand secret, auquel ils n’étaient pas associés, et auxquels ils devaient apporter en permanence un soutien indirect, voire direct en cas de nécessité particulière comme une évacuation sanitaire, était une pilule difficile à digérer. CECMED avait la chance de ne pas avoir le port-base des SNLE dans son théâtre ; néanmoins la portée des missiles et des considérations tenant à la défense ABM soviétique rendaient des déploiements en Méditerranée intéressants. Contrairement à CECLANT assuré de la présence de SNLE dans son théâtre la majorité du temps, CECMED et son État-Major comprenaient mal que l’officier de contrôle opérationnel d’ALFOST, fonction assurée en permanence, réclamât en pleine nuit tel point de situation sur un bâtiment de combat allié à capacité ASM ou sur un bâtiment scientifique soviétique spécialisé dans les études acoustiques sous-marines. En de rares occasions, la diplomatie naturelle de son CV chef d’État-Major n’ayant pas suffi à désamorcer l’ire toulonnaise, l’amiral dut lui-même arranger l’affaire au téléphone crypté avec le contre-amiral en charge des opérations à CECMED et même une fois à ma connaissance, ayant été promu depuis peu vice-amiral se rendre à Toulon faire au vice-amiral d’escadre Commandant en chef du moment une visite type “bourgeois de Calais”.

 

 

Je voudrais compléter cet hommage par quelques considérations d’ordre personnel.

D’abord sur la personnalité de l’amiral sous-marinier Joire-Noulens : nous, sous-mariniers, avons tous un coté serrurier qui fait partie du processus de notre formation/sélection tant la connaissance du matériel est fondamentale pour la sécurité dans la conduite de nos bateaux. L’amiral avait gardé cette capacité à se faire expliquer le matériel et s’était formé, au niveau qui était le sien, à la propulsion nucléaire, aux missiles, à la navigation inertielle, etc… Mais, il n’était pas qu’un serrurier, ayant une vision claire de la stratégie de dissuasion, du rôle des forces nucléaires et de la FOST en particulier, de sa place dans la Marine, des contraintes techniques, budgétaires, humaines, pesant sur l’ensemble.

Il avait aussi cette double qualité d’être heureux à bord des sous-marins et de savoir parler à tous, avec des mots simples et fermes, sans démagogie.

Avec son État-Major, à Houilles, sa décontraction appuyée sur une solide connaissance des opérations, des matériels et des hommes conduisait, à l’occasion du point de situation journalier, à une approche sereine des difficultés et à tirer calmement les enseignements de telle situation opérationnelle imprévue ou tel dysfonctionnement agaçant des transmissions.

Il obtenait de chacun des officiers ce qu’il était capable de donner au service, et de plus, il lui demandait de façon adaptée à sa personnalité.

Il avait aussi du commandement et du caractère et était capable de s’opposer à l’institution.

 

 

Je lui suis extrêmement reconnaissant d’avoir mis tout son poids auprès du CEMM du moment, l’amiral de Joybert, qui avait aussi une forte personnalité, pour que je garde le commandement de la Sirène après l’accident d’octobre 1972 et de m’avoir pris à Houilles pendant les grandes réparations. Accessoirement, assurer les fonctions de contrôleur opérationnel un jour sur cinq et travailler à la tâche sur les questions les plus diverses concernant les forces sous-marines pendant près d’une année a constitué pour le Lieutenant de vaisseau que j’étais une expérience inestimable.

Après une nomination surprise au poste de CEMM au détriment du candidat de la Marine qui visiblement n’avait pas compris quelle était sa mission principale, il était venu passer une journée à bord de la Sirène, conformément à la promesse qu’il m’avait faite à mon retour à Lorient. Il m’avait ensuite fait attribuer le commandement du Marsouin. Quelques mois et un accident de plongée heureusement terminé plus tard, alors que j’appareillais pour la mission Orion, déploiement de quatre mois à Djibouti et à l’ouvert de l’Océan indien, il avait eu le geste délicat de m’adresser la photo ci-jointe prise à bord de la Sirène ; pour l’occasion, on remarquera qu’il avait revétu son jersey brodé ALFOST.

 

 

 

   

 

 
   

 

 

 

 

 

 

 

 



 

 

Me rendre à Jaunay-Clan pour assister à ses obsèques le 08 juillet dernier n’était que la juste expression de mon respect et de ma reconnaissance à l’égard de l’amiral Joire-Noulens.

 

 

Contre-amiral (2ème section) Camille Sellier

Lorient, le 11 juillet 2010.



14/07/2010
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