Sous-marin classique marsouin ...

Sous-marin classique   marsouin ...

LE CHEF D'ETAT MAJOR DES ARMEES ce 08.11.2010 à 15h37

Interview : Edouard Guillaud, Chef d'Etat-major des Armées



crédits : EMA


08/11/2010

En février dernier, l'amiral Edouard Guillaud devenait Chef d'Etat-major des Armées françaises. Neuf mois plus tard, le CEMA revient avec nous sur l'actualité des forces militaires françaises et, notamment, de la marine. Avec le CEMA, nous revenons sur les enjeux maritimes auxquels la France doit faire face, sur l'évolution de l'Europe de la Défense, l'« interarmisation » des forces, ou encore les conséquences des réductions budgétaires.
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Mer et Marine : On a constaté en France, ces dernières années, une prise de conscience de l'importance des enjeux maritimes. Est-ce également le cas au niveau militaire ? En quoi la marine est importante pour la défense des intérêts nationaux ?

Amiral Edouard Guillaud : Le caractère océanique de notre marine est inscrit dans la culture militaire de notre pays. La France est nation riveraine de tous les océans. Avec 11 millions de km² de zone économique exclusive, la France dispose du 2ème domaine maritime mondial. 85% des biens de consommation transitent par voie maritime. Notre pays est dépendant de la mer.
Récemment, la croissance exponentielle des attaques de piraterie au large de la Somalie a simplement rappelé au grand public l'intérêt stratégique des voies maritimes. Mais historiquement, la protection des voies maritimes est bien la raison d'être des marines de guerre, même si, aujourd'hui, leurs actions ne peuvent être envisagées sous ce seul angle.
Les bâtiments et aéronefs de la marine participent à la protection des intérêts de la France lorsqu'ils patrouillent et interceptent des pirates dans le bassin somalien, lorsqu'ils luttent contre les trafics dans la zone Caraïbe et méditerranéenne, contre les réseaux terroristes dans l'océan Indien et qu'ils conduisent des missions de présence dans le golfe de Guinée. Ils assurent la sécurité des approches maritimes du territoire français, garantissent le libre accès à nos ports en métropole et outre-mer et la liberté de circulation de la force océanique stratégique depuis les bases navales de Toulon et Brest, Cherbourg, Nouméa, Cayenne, Saint-Pierre et Miquelon etc..
Seule une force navale polyvalente et projetable, équipée de bâtiments capables de passer de la surveillance à l'intervention, nous permet d'assurer ces missions, de faire face à l'évolution des menaces. Sa préservation est une priorité.

Les militaires français travaillent de plus en plus souvent en interarmées et l'heure semble à la mutualisation de certaines fonctions, comme le support. Quel impact cela va-t-il avoir sur la marine ?

Vous parlez de deux choses différentes. D'une part il y a la réforme des armées et plus généralement du ministère de la défense. Cette réforme a été entreprise il y a 2 ans maintenant sous la double impulsion de la RGPP et du Livre blanc. Elle vise à réduire nos dépenses et se traduit notamment par une mutualisation des fonctions de soutien. D'autre part, il y a une interarmisation, qui est une des voies de réalisation de notre réforme mais qui procède avant tout d'une recherche d'harmonisation et de cohérence dans notre outil de défense.
Il ne s'agit pas d'interarmiser ou de mutualiser tout, à tout prix, mais bien de faire des choix à partir de modèles qui ont fait leurs preuves, de prendre en compte les logiques de milieu ou les missions spécifiques à chaque armée.
Ainsi, nous avons fait le choix de l'interarmisation avec la création du Service du commissariat des armées (SCA) mais nous avons choisi de nous inspirer du service de soutien de la flotte (SSF) et de la structure intégrée de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques (SIMMAD), pour créer des structures similaires pour les matériels terrestres, les munitions ou les systèmes d'informations. Je n'oublie pas que la culture de chaque armée est un des fondements de notre efficacité. Une efficacité qui se mesure aux quotidiens dans nos engagements opérationnels.

Certains marins, dans l'aéronautique navale, craignent que ne ressurgisse l'idée d'un rapprochement avec l'armée de l'Air, à l'image de ce qui s'est passé, non sans problème d'ailleurs, en Grande-Bretagne. Quelle est votre position sur le sujet ?

La marine et l'armée de l'air ont des aéronefs en commun et la même structure de soutien (SIMMAD). Leurs pilotes sont formés, en tout ou partie, dans les mêmes écoles. Il y a quelques jours, ces deux armées ont mis en service l'escadron de transformation Rafale mixte air/marine de Saint-Dizier pour éviter de dupliquer cette activité avec Landivisiau.
Le Commandement interarmées des hélicoptères qui est sous mon autorité vise à établir des règles communes pour des flottes d'hélicoptères communes à certaines armées, harmoniser quand cela est possible les règlementations, le soutien, l'emploi etc.
Mais ce n'est pas parce que nous optimisons certains éléments que nous envisageons leur fusion.
Les marins, comme les soldats des autres armées, possèdent des compétences et une connaissance de leur milieu - la mer -, qui leurs sont propres. Le combat en mer ou la lutte anti-sous marine ont des spécificités que l'on ne peut ignorer, au même titre que le combat en zone urbaine ou le combat aérien. Les Tigre de l'armée de terre ne vont donc pas assurer demain des missions de lutte anti sous marine.

Comment peut se traduire, au niveau naval, le retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN ?

Je vais être très clair. La pleine participation de la France dans l'OTAN n'a pas changé notre engagement opérationnel, pas plus celui des forces navales que celui des forces terrestres ou aériennes. La France a été de toutes les opérations de l'OTAN. Nous sommes toujours un des contributeurs majeurs des opérations et des forces (SNMG, NRF ...) de l'OTAN.
Avec le retour dans les structures intégrées de l'OTAN, c'est notre capacité à défendre nos intérêts et à influer sur les décisions militaires que nous avons renforcé. Alors que nous n'avions, en 2009, que deux officiers généraux insérés dans les commandements de l'OTAN, ils seront bientôt une dizaine.
Aujourd'hui, nous sommes concentrés sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN qui sera proposé aux chefs d'Etat et de gouvernement à Lisbonne, celui-ci déterminera quelle Alliance nous voulons et pour quelles missions.

On constate en Europe une réduction sensible des moyens consacrés aux armées en général et aux forces navales en particulier. Face à l'émergence de nouvelles puissances, considérez-vous cette évolution comme dangereuse ?

Le désarmement de l'Europe est un risque. Alors que le monde réarme avec une hausse annuelle moyenne de 6 % des crédits de la défense, nous devons plus que jamais rester vigilants à ce que l'Europe ne baisse pas la garde.
Dans un contexte de crise économique et financière, les Défenses européennes doivent indéniablement faire leur part d'effort mais nous devons être prudents dans les choix que nous faisons pour ne pas sacrifier aujourd'hui des outils et des compétences pour lesquelles il nous faudrait plusieurs décennies pour les acquérir de nouveau. Je pense en particulier au GAN, à nos forces sous-marines etc.
Notre capacité à intervenir partout, rapidement, repose sur la polyvalence et la diversité de notre outil de défense. Comme je l'ai rappelé récemment à nos parlementaires, le choix de nos ambitions est éminemment politique. Ma responsabilité est de planifier et d'anticiper les conséquences des choix d'aujourd'hui sur le long terme.
Cela signifie aussi que nous devons sans relâche chercher, avec nos partenaires européens, des pistes pour accroître notre coopération tant dans les domaines industriels, structurels qu'opérationnels, pour maintenir et développer les capacités de défense de nos pays de sorte à optimiser nos budgets de défense.

Quels axes de coopération peut-on imaginer avec certains pays, comme la Grande-Bretagne ?

Aujourd'hui les armées britanniques et françaises sont assez semblables et sont notamment les seules marines de ce continent à disposer de l'ensemble du spectre des capacités, compétences et moyens leur conférant un caractère océanique.
Dans le contexte financier qui est le nôtre, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés, en particulier pour renouveler nos équipements. Evidemment, il est de notre intérêt de travailler ensemble. Cette coopération pourra se traduire par une meilleure gestion de nos capacités et permettra d'éviter, au bénéfice de nos deux nations, la disparition de certaines activités.
Notre travail avec les Britanniques est engagé et le sommet franco britannique qui s'est tenu à Londres constitue un jalon important. Il s'agit d'un effort de longue haleine mais, autour de la table, nous partageons la volonté commune, insufflée par le Président, de travailler sans tabou, d'être prêts à étudier toutes les pistes. Le sommet du 2 novembre permet d'identifier des projets concrets et de formaliser ces axes de coopération.

D'un point de vue opérationnel, comment évolue la coopération entre les marines européennes ? Quel bilan faites vous par exemple de l'opération Atalante et comment expliquez-vous la persistance, malgré les moyens mis en oeuvre, de ce problème ?

L'opération Atalante est l'illustration d'un engagement militaire européen, rapide et déterminé. Aujourd'hui, près de deux ans après son lancement, les résultats sont bien là : un corridor de navigation a été mis en place dans le golfe d'Aden pour accompagner les navires de commerce, et le nombre de navire piratés cette année a diminué de 20%.
Ces succès reposent sur une coopération sans précédent entre les marines européennes et internationales, qu'elles soient américaines, chinoises, russes ou indiennes. Mais il faut être lucide, la menace n'est pas éradiquée, elle est maîtrisée, et le processus juridique est à la peine.
Le dispositif de lutte contre la piraterie peut durer. La menace également. La solution, je l'ai déjà dit par ailleurs, est à terre. Elle passe par une stabilisation de la Somalie et de la sous région.

Pour en revenir aux problématiques françaises, le projet de second porte-avions est toujours en cours de réflexion. Est-ce que l'acquisition d'un PA2 est indispensable pour un pays comme la France, d'autant que le Charles de Gaulle a été longuement immobilisé depuis 2007 ?

Lors de son déplacement sur le Charles de Gaulle, le Président a rappelé que le porte-avions est un outil indispensable mais aussi qu'il réservait sa décision sur l'acquisition d'un second pour 2011-2012.

Les derniers problèmes techniques de l'unique porte-avions français, juste avant son départ pour une nouvelle mission Agapanthe, peuvent-ils ternir l'image de fiabilité et la crédibilité de la France en matière d'outil aéronaval ?

Les porte-avions sont un véritable défi technologique. La France est le seul pays à mettre en oeuvre un porte-avions à propulsion nucléaire équipé de catapultes et brins d'arrêt. La détention de ce savoir-faire est rare et complexe. Il fait de nous un partenaire crédible en même temps qu'il suscite l'intérêt des pays des émergents.
De plus, la France a déjà fait la preuve de ses compétences en la matière depuis l'admission au service actif du Charles de Gaulle en 2001 et ses 4 campagnes en mer d'Arabie pour conduire des opérations aériennes au-dessus de l'Afghanistan. Il n'y a d'ailleurs pas d'autres pays que les Etats-Unis et nous capables de le faire.
Les problèmes techniques que rencontre le Charles de Gaulle sont pénalisants. Mais ils méritent d'être relativisés à leur juste mesure. Disposer d'un porte-avions à propulsion nucléaire est un choix stratégique. Certes nous sommes dépendants de la disponibilité de cet outil puisqu'il est unique, mais ce choix est pleinement assumé.

Enfin comment voyez-vous l'évolution des problématiques maritimes dans les prochaines années et quels moyens la Marine nationale devra-t-elle mettre en oeuvre pour répondre à l'évolution des menaces ?

La mondialisation des crises, l'évolution rapide des nouvelles technologies, la montée en puissance des menaces terroristes ou balistiques, la fragilité des systèmes d'informations, les pandémies potentielles sont autant de facteurs qui rendent les menaces de demain difficiles à identifier.
Le facteur environnemental sera sans aucun doute essentiel. L'accès aux ressources énergétiques et en particulier l'exploitation des ressources sous-marines constituent des foyers de tension futurs indéniables.
Je veille donc à ce que nous construisions et adaptions notre outil de défense pour qu'il reste apte à faire face à la diversité des menaces. Je veille à ce que nos forces maritimes, terrestres et aériennes restent polyvalentes et projetables pour préserver les intérêts de la Nation. 11 millions de km² de zone économique exclusive, près de 2 millions de Français expatriés dans le monde. Les intérêts de la France sont répartis sur la surface du globe. Notre outil de défense doit rester adapté à cette réalité.
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© Mer et Marine, 2010


08/11/2010
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