Sous-marin classique marsouin ...

Sous-marin classique   marsouin ...

LES CHARMES DE LA COUCHETTE CHAUDE PAR YVON CALVEZ ce 23.08.2010 à 14h59.

 

 

EN PLONGÉE A BORD DU DAUPHIN

 

ÉTRANGE NAVIRE, OU, POUR CONTEMPLER LA MER IL faut se serrer dans une baignoire ou monter au sommet de la cathédrale

 

Le télégramme mercredi 12 juin 1968

 

Il est là immobile, presque invisible, mais peu à peu, à mesure que s’en approche l’embarcation de la DP qui m’y conduit, sa silhouette se précise, seules émergent de, l’eau calme de la rade-abri la partie supérieure d’une coque noire et cette sorte de cheminée, noire également, que j’appelle encore le kiosque et contre laquelle des hommes, une dizaine peut-être, se sont adossés pour fumer paisiblement une cigarette.

Il s’appelle « DAUPHIN ». C’est le nom d’un animal affable ami des hommes. Il en a d’ailleurs l’aspect général et l’échine arrondie, si l’on excepte cette nageoire dorsale tranchante que ne possède pas le mammifère marin. Mais pour l’heure il me parait quelque peu inquiétant et, bien que je l’aie souhaité, la perspective de pénétrer, puis de vivre dans les entrailles, me noue la gorge: ne vais-je pas être victime d’un sentiment de claustration qui me rendra la vie insupportable au bout d’un certain temps ,?

La chaloupe a accosté; je saute sur la coque noire et un homme me tend la main, se présente ; lieutenant de vaisseau Mathey. C’est le commandant. Visage en lame de couteau, lèvres minces, regard profond. Jeune, la trentaine peut être. Accueillant aussi mais sans grandes démonstrations, comme si je faisais partie de la famille.

C’est mieux ainsi. Mais il a bien fait de préciser son grade car rien ne permettait de le deviner. Comme tous ceux qui l’entourent, il porte pour tout uniforme un gros pull en laine a col roulé, un blue-jean et une courte paire de bottes montant à mi-mollets. Il en est ainsi du plus jeune des matelots jusqu’au « pacha ». La similitude des tenues n’est gênante que pour le visiteur qui ignore les fonctions de son interlocuteur, mais pas du tout pour l’équipage. Tout le monde se connaît à bord, ou l’on se côtoie sans cesse dans la coursive. J’aurai tôt fait de m’en apercevoir.

 

LA BAIGNOIRE la bien nommée

 

Mais pour l’heure on appareille et aux premiers tours d’hélice, les fumeurs abandonnent le pont, l’équilibre sur ce fuseau étroit , dépourvu de rembarde se révélant trop instable dès les premières vagues.

La pluspart gagnent leurs postes, le commandant quand à lui monte à la passerelle. Je lui emboîte le pas et je fais là une première découverte: cette passerelle doit avoir sensiblement la taille et la forme d’un gros tonneau vertical dans lequel se pressent trois, quatre, voire même cinq hommes qui éprouvent quelque peine à se mouvoir, Peu ou pas d’instrument de navigation, de la peinture noire partout, c’est austère a tous égards. Mais il en est ainsi sur tous les submersibles dont la fonction unique consiste à se mouvoir dans l’eau et qui n’auraient que faire des instruments d’un bâtiment de surface.

J’apprend ainsi que la passerelle ne se nomme point la passerelle , qu’il convient de l’appeler «  baignoire »non pas a cause de sa forme , mais parce que dès que l’océan se creuse et à fortiori lorsqu’il fait un temps de chien, ses occupants bénéficient de paquets de mer incessants dont ils ne goûtent pas toujours le charme..

D’ailleurs puisque l’on est à une première description, il est bon de savoir pour ne pas faire figure d’ignare, que l’ensemble de la nageoire dorsale du sous-marin n’est pas le kiosque mais le massif. La baignoire se trouve dans le décrochement, à l’avant et le sommet des superstructures, ou l’on accède par une échelle , constitue la cathédrale. Divers organes vitaux du navire y aboutissent, sur lesquels on aura l’occasion de revenir: les antennes radio, le périscope, le radar, le schnorchel et le détecteur de radar.

Le kiosque lui, se trouvre plus bas, sous la cathédrale. C’est en quelque sorte la vraie passerelle du bateau, car il ne baigne pas dans l’eau en plongée.

 

HÉRITIER DES SOUS-MARINS ALLEMAND

 

Le DAUPHIN vient de doubler la bouée du Mengant, au milieu du goulet de Brest et les premiers effets de la houle se font légèrement sentir. Il s’accentueront tout à l’heure dans le chenal du Four, ou , bien que la mer soit calme, le bâtiment commence à rouler. Ce qui laisse imaginer que par forte mer, les mouvements doivent être d’une certaine amplitude et peu agréables pour les estomacs mal amarinés.

Tandis qu’a tribord défile la pointe de corsen, le lieutenant de vaisseau Mathey me présente son bateau..

Le Dauphin est un des plus anciens des 19 sous-marins actuellement en service dans la marine Française. (Il y avait 20 avant le 27 janvier , date de la perte de la Minerve). Il appartient à la famille des « océaniques », dont le prototype fut le « Narval », en service depuis le mois de décembre 1957, et qui fut suivi , dans l’ordre du « Marsouin » du « Dauphin », du « Requin », de « l’Espadon » et du « Morse », en service en mai 1960. Mis en cale à Cherbourg au début de 1952, le Dauphin fut lancé le 17 septembre 1955 et admis au service actif en août 1958.. son déplacement est de 1600 tonnes en surface et 1910 tonnes en plongée. Ses dimensions principales sont aisées à retenir longueur : 77,77m, largeur 7,77 m. Le tirant d’eau, enfin et de 5,80. L’équipage est de 66 hommes : 7 officiers, 20 officiers mariniers, 38 quartiers-maîtres et marins, parmi lesquels deux spécialités dominent: les torpilleurs et les electriciens.

Construits immédiatement après la guerre, les sous-marins du type « Narval » on bénéficié des leçons apportées par ces maîtres dans le domaine de la navigation invisible qu’étaient devenus les Allemands. Il faut convenir en effet que le Dauphin n’est guère différent des derniers submersibles construits par la Kriegsmarine, ni dans sa conception, ni dans ses missions: le torpillage de bâtiments de surface ou d’autres sous-marins, la reconnaissance des côtes ennemies et le débarquement d’agents. Avec la découverte de l’atome comme moyen de propulsion et de destruction, ces missions ont évolué depuis quelques années, mais ceci est une autre histoire.

 

LES COMBATTANTS DES PROFONDEURS MARINES

 

Nous laissons Ouessant sur bâbord. Je suis toujours dans la baignoire, coincé entre l’officier de quart et le « Patron », le maître chef de Quart Arhant, un Sénan souriant et décontracté qui achève une longue carrière aux sous-marins. Il va bientôt quitter la Marine Nationale pour retrouver son île natale et entrer dans la douane. « Patron » n’est pas une appellation familière mais une fonction officiellement reconnue à bord des sous-marins. Il est à la fois chef de quart, capitaine d’armes, chargé de la gestion des vivres, du matériel de couchage, de l’infirmerie , etc...Rien a bord ne doit lui échapper, rien ne lui échappe. L’équipage le sait bien.

Le sous-marin taille sa route vers le large. A l’arrière dans l’écume soulevée par le brassage des hélices, un arc en ciel est apparu. A l’avant l’étrave aiguisée ornée d’un bulbe qui protège le sonar plonge régulièrement dans la houle.

Tandis que l’eau glisse le long de la coque, je ne puis empêcher mon imagination de revenir 25 années en arrière, vers cette guerre que les Allemands perdirent sur terre, sur mer aussi mais ce ne fut pas la faute de leurs sous-mariniers qui s’ils avaient été entendus dès le départ, auraient pu changer la face du conflit.

Je ne puis m’empêcher de revoir ces U-Boote appareillant de Brest, de Lorient, de Lappalice, pour foncer vers leurs proies, les cargos chargés d’armes, de vivre et de matières premières qui traversaient l’Atlantique. La musique saluait les départs et quelques fois les arrivées, et les messages parvenaient régulièrement, au B.D.U. de l’amiral Doenitz à Lorient: 10,20,50 000 tonnes de cargos alliés coulées.

Les marins étaient fiers de servir sur les U.Boote. Ils avaient le sentiment d’appartenir à une élite, ils étaient courageux. Ils l’étaient encore plus à la fin de la guerre, lorsque, sur dix submersibles partis , huit ne revenaient pas, envoyés au fond par les grenades des escorteurs et des avions.

 

CASSE-CROÛTE DE RIGUEUR POUR CHASSER LE FANTÔME DU TABAC

 

On descend ?. Je m’arrache à mon rêve, car le commandant vient de m’inviter à pénétrer dans le ventre du Dauphin. Un puits vertical, éclairé en haut par la lumière du jour, en bas par l’électricité, y conduit. Premier étage, le kiosque. Plus bas la coursive, la seule et unique coursive d’un seul pont. Elle court, presque droite, de l’avant à l’arrière du sous-marin.

On se croirait dans un wagon de chemin de fer. Les dimensions y sont, la forme aussi, avec des compartiments de part et d’autre du couloir et un plafond caché par un réseau complexe de tubes, de câbles, de fils...

A quelques mètres de l’échelle, c’est le carré des officiers: un bien grand mot, sans aucun doute, pour désigner une surface chichement mesurée occupée pour une grande part par une large table couverte d’un tapis épais.

Le solide casse-croûte qu’on se partage aussitôt est avalé avec une déconcertante facilité et je constaterai bien vite qu’il peut en être ainsi plusieurs fois par jour.

La raison m’en est apparue sans tarder : l’air marin creuse l’estomac, chacun le sait, mais l’interdiction du tabac encore plus. La cigarette est formellement prescrite par crainte de l’hydrogène dégagé par les batteries et aussi parce que l’atmosphère deviendrait irrespirable à bord.

En réalité, si la défense de fumer peut apparaître, à priori comme un terrible supplice, elle s’accepte en définitive sans difficulté et un sandwich au moment opportun vient, par une sorte de compensation , faire oublier la tentation.

 

L’ÉTAT MAJOR MOYENNE D’ÂGE INFÉRIEURE A ANS

 

Nous voilà donc partis pour cette sortie d’entraînement individuel. Aucun exercice n’est prévu avec des avions ou des escorteurs. Il s’agit simplement de poursuivre la mise en condition de l’équipage par des manoeuvres de routine, en plongée ou en surface, d’entretenir des réflexes qui me paraissent pourtant sans défaut.

Pour ce faire , le Pacha est assisté d’une solide équipe de jeunes officiers avec lesquels je ferai tour à tour connaissance: le lieutenant de vaisseau François Besson, 30 ans , officier en second, le lieutenant de vaisseau Claude Grieu, 33 ans (n le doyen de l’état major), chef du groupement «  énergie », appelé plus communément le «  chef »; le lieutenant de vaisseau Philippe Roy , 27 ans , officier détecteur; le lieutenant de vaisseau Yves Troadec, 28 ans , officier torpilleur; l’enseigne de vaisseau Lionel Le Gall de Kerangal, 28 ans, transmetteur, et l’enseigne de vaisseau André Le Sommier, 27 ans , adjoint au chef énergie dit le petit chef.

Entre des hommes , proches les uns des autres à tous égards point de hiérarchie apparente. Il règne dans le groupe une familiarité que l’on rencontre que sur les petites unités. Mais on constate bien vite qu’un ordre n’est jamais ni mis cause ni critiqué et qu’il règne une discipline sans faille. Il en est de même en ce qui concerne l’équipage, relativement familier, lui aussi, avec les officiers et les officiers mariniers, mais que l’on ne peut prendre en défaut lorsqu’une consigne est donnée. Manifestement chacun, dès l’instant ou il est en service , prend conscience de ses responsabilités et sait pertinemment que de chacun de ses gestes peut dépendre la vie de 66 hommes.

 

LES CHARMES DE LA COUCHETTE CHAUDE

 

J’ai pris possession de ma couchette, sans savoir encore que je suis un privilégié sur ce point, car chaque matelot n’en possède pas toujours une à lui seul. Faute de place, il doit la partager en alternance avec un autre. C’est le système de la « couchette chaude », en vigueur sur tous les submersibles de petite taille . Le lit est confortable et ( relativement) spacieux. Mais on doit pratiquer une petite gymnastique pour s’y insinuer, l’espace libre jusqu’à la couchette du dessus étant restreint. Quand on y a pris place , inutile de tenter de s’asseoir, ou gare à la tête !.

J’ai aussi revêtu col roulé et blue-jean pour tenter de me confondre avec l’équipage et j’ai partagé le repas du carré, le même strictement, que celui des postes. La nourriture, est-il besoin de le dire , est excélente; le sous-marinier est sur ce chapitre, et à juste raison, l’enfant gâté de la Marine...

Puis j’ai dormi, bercé par la houle et le ronronnement , rassurant des moteurs diesels qui tournent juste derrière la cloison. Toute la nuit, le Dauphin naviguera, en surface, pour gagner au matin, a quelque cent milles au large, le secteur qui lui est assigné ce jour là pour ses exercices

Ce secteur, c’est un petit « carreau » tracé et numéroté sur la carte, dont il ne doit pas franchir les limites, et dans lequel il ne risque pas , sans être prévenu de rencontrer un autre submersible allié. En outre, en cas d’accident sa position est ainsi instantanément connue avec une relative précision



23/08/2010
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