Sous-marin classique marsouin ...

Sous-marin classique   marsouin ...

S/M DAUPHIN CE 07.06.2010 à 11h59 ...

Accident en plongée du sous-marin « Dauphin », le mardi 10 décembre 1985

 

__________

 

 

La grande refonte SISYPHE (Sous-marin Installé en SYstème Pour Hydroacoustique Expérimentale) du sous-marin « Dauphin » à Lorient était achevée.

La période des essais à la mer commençait, selon l’enchaînement suivant :

Le 28 novembre 1985 plongée statique n°1, les 2 et 3 décembre plongée statique n°2, les 3, 4 et 5 décembre passage au bassin, plongée statique n°3 dans la nuit du 5 au 6 décembre, le 7 décembre plongée statique n°4, le dimanche 8 décembre appareillage à 22h00 pour les essais en eaux libres, lundi 9 décembre plongée à l’immersion périscopique : IP (14 mètres), et à 100 mètres : P/2, mardi 10 décembre plongée à 200 mètres : P.

 

Les essais avaient pris du retard, comme c’était souvent le cas après une grande refonte.

Les membres de l’équipage étaient pour la plupart très récemment embarqués, les autres n’avaient pas navigué depuis plus d’une année.

C’est au centre du secteur Juliette en Atlantique (plein sud Penmarc’h, plein ouest La Baule) que vont se dérouler les essais en plongée.

L’aviso « Jacoubet » est sur zone en soutien, et pour assurer la sécurité.

Ces essais en eaux libres, réalisés aux postes de combat, se sont déroulés d’abord à l’immersion périscopique, puis à 100 mètres d’immersion, et pour finir à 200 mètres.

Ils ont commencé pour la première plongée le lundi 9 décembre à 09h16 jusqu’à 13h35 à l’IP, de 16h20 à 21h26 à P/2,  le mardi 10 décembre de 06h34 à 13h59, puis de 16h28 à 17h32.

Le retour en surface était prévu à 14h00. Le « Dauphin » fait surface à 13h59 tous essais effectués, sauf ceux de la pompe d’assèchement à 200 mètres.

Le message rendant compte de la situation est envoyé à l’escadrille des sous-marins de Lorient ; l’aviso « Jacoubet » est libéré, et fait route vers Brest.

L’équipage est très fatigué : deux heures et demi en surface permettent un peu de repos bénéfique pour tous.

À 16h28 le « Dauphin » replonge, charge en air effectuée, afin de terminer les essais de la pompe d’assèchement à 200 mètres.

Rappel aux postes de combat, immersion 200 mètres, bâtiment étanche.

Les essais de la pompe sont réalisés dans le compartiment des auxiliaires. Le circuit d’assèchement est particulier : la pompe refoule à la mer, et aspire dans différentes capacités, ou cales, grâce à un aiguillage manuel qui consiste à permuter un tuyau coudé pouvant être boulonné d’un côté sur la pompe et de l’autre sur une des capacités choisies, devant être asséchée.

L’assèchement des cales se déroule normalement.

Puis, c’est au tour de l’assèchement d’un régleur en service.

La connexion avec le régleur est faite manuellement : début de l’assèchement du régleur.

À cet instant, l’Ingénieur mécanicien, présent dans le compartiment des Auxiliaires, crie : « Entrée d’eau aux Auxiliaires !!! ». Il est 17h27.

En effet, un énorme geyser surgit dans le compartiment au niveau de la pompe d’assèchement.

Le Maître de central annonce sur la diffusion générale : « Voie d’eau aux Auxiliaires !!! », « Chassez partout !!! ».

Les moteurs électriques principaux sont lancés Avant 6, l’ordre de mettre les barres de plongée à monter est donné.

Malgré la parade, le sous-marin n’obéit pas, il pique du nez, l’assiette devient de plus en plus négative, jusqu’à dépasser -20°.

À ce moment, par consigne, les électriciens de propulsion stoppent les moteurs, inversent les commandes et battent Arrière 5.

Le Maître de central voyant les tachymètres des lignes d’arbres partir en AR, alors que l’on se trouve en manœuvre de parade de voie d’eau, disjoncte l’alimentation électrique des moteurs de propulsion.

Résultat : plus de propulsion ! l’assiette est supérieure à -30°, le sous-marin court sur son erre en avant et continue de s’enfoncer : l’immersion dépasse 250 mètres !

 

2à 3 minutes venaient de s’écouler…

 

Le Commandant, l’Officier en second, et moi-même, officier en troisième, chacun à son poste, manœuvre la commande de largage des plombs de sécurité avec succès.

Le sous-marin remonte brutalement, mais il est toujours en assiette négative.

Je me trouve au CO (central opérations) et j’ordonne au barreur de direction, qui se trouve dans le kiosque, de mettre la barre toute d’un bord, dans le but d’enfoncer le cul du sous-marin, avec l’espoir de réduire l’assiette.

 

3 à 4 minutes venaient de s’écouler…

 

À ce moment, le Maître de central réalise que le barreur a mis les barres de plongée AV et AR à descendre, au lieu de les mettre à monter !

Les barres sont mises à monter, les disjoncteurs sont réenclenchés, les moteurs de propulsion sont relancés,  l’assiette diminue et le sous-marin commence à remonter lentement, d’abord en assiette négative, puis, peu à peu, en assiette positive. La barre de direction est remise à zéro.

 

4 à 5 minutes venaient de  s’écouler…

 

Le largage des plombs de sécurité (14 tonnes) a permis d’alléger de façon considérable le sous-marin.

Au fur et à mesure de sa remontée vers la surface, le sous-marin a commencé à prendre de la gîte sur tribord.

Les ballasts centraux sur le « Dauphin » avaient des capacités en air différentes entre babord et tribord. En effet une partie du volume du ballast central tribord était occupé par les réfrigérants de la station d’huile (gros tuyaux en serpentin). Il y avait donc moins de capacité en air dans le ballast tribord que dans celui de babord ; et c’est cette différence qui explique le début de la prise de gîte sur tribord ! Celle-ci s’est accentuée tout au long de la remontée au point que, parvenu en surface, le « Dauphin » se retrouve couché à plat sur la mer avec une gîte comprise entre 70° et 80°.

À ce moment là, j’étais debout sur le montant de l’échelle du kiosque qui se trouvait quasiment à l’horizontale !!!

 

5 à 6 minutes venaient de s’écouler…

 

Le « Dauphin »  est en surface, couché sur tribord…la mer est de force 4, le vent 6… il est ballotté,… et soudain une vague bienfaitrice redresse brutalement le sous-marin ! Ouf !

Il est 17h32.

Je prends le quart à la passerelle, et ce jusqu’à l’arrivée à Lorient.

Il fait nuit, le « Dauphin » flotte, mais sans propulsion, les batteries ont déversées, plus d’électricité, juste suffisamment pour envoyer un message de détresse.

Tout à bord est sens dessus dessous ; dans le noir, l’équipage est hébété…

L’ingénieur mécanicien réussit, et c’est un exploit ! à lancer les trois diesel en auto-excitation : vitesse 12 nœuds, sans possibilité de réglage.

La barre de direction est manœuvrée en secours à bras du poste AR.

Le cap vers Lorient est donné par un Alizé de Lann Bihoué qui passe et repasse sans cesse au dessus de nous pour nous indiquer la route (pas de moyen de communication avec lui).

Vers 5 heures du  matin nous rejoignons deux remorqueurs qui nous attendaient devant le phare de Pen Men sur l’île de Groix.

À 5h30 le « Dauphin » était accosté à Kéroman, l’équipage soulagé et heureux sans doute, mais totalement à bout de force, ne réalisant pas que le cauchemar était terminé…

 

 

Que s’est-il donc passé ?

 

Concernant l’entrée d’eau, il y a eu une erreur d’aiguillage : le coude a été connecté sur le régleur de sécurité gonflé à 45 bars, et non sur le régleur en service.

Ainsi, au lancement de la pompe, la pression a été telle que le coude a sauté immédiatement, car, pour aller plus vite sa collerette n’était boulonnée que sur trois boulons au lieu de six, et le joint n’était pas conforme.

Il n’y a donc pas eu de voie d’eau ! c’est le régleur en pression qui s’est vidé dans le compartiment des Auxiliaires.

Ce qui explique, qu’après le largage des plombs de sécurité, le sous-marin s’est trouvé brutalement allégé.

De plus, au cours de la remontée, il est arrivé que la vitesse ascensionnelle a été plus grande que la vitesse d’avancement, ce qui a accéléré l’accroissement de la gîte.

 

Pourquoi la propulsion a battu AR 5 ?

 

Parce que la diffusion générale au compartiment de la Propulsion Électrique ne fonctionnait pas ! Les électriciens de propulsion ne savaient pas qu’on se trouvait en situation de parade à une voie d’eau.

La consigne prévoit de battre AR 5, sans ordre, lorsque l’assiette du sous-marin dépasse -20°.

 

Pourquoi le barreur s’est trompé de sens pour les barres de plongée ?

 

Sans doute à cause du stress, à cause de la fatigue (deux journées consécutives passées quasiment aux postes de combat), et aussi à cause de son inexpérience.

 

 

 

Voilà !

On peut dire que ce jour-là nous avons eu beaucoup de chance !

 

Récit de Gérard FAUGERE

Ancien commandant de sous-marin, Trésorier National de l’AGASM

Officier en 3ème au moment des faits



07/06/2010
6 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 351 autres membres